Être entrepreneur, qui plus est dans la restauration, n’a pas le vent en poupe en ce moment. On a beaucoup parlé des restaurants déjà ouverts, grâce aux témoignages de nos amis restaurateurs, nos clients, mais peu des nombreux entrepreneurs ayant un projet en cours… Alors où se situent-ils face à la crise qui vient de survenir ? Nous avons rencontré Agathe, porteuse du projet prometteur “Les Bichettes de Belleville”.
“Cela fait depuis Février 2019 que nous sommes sur le projet. J’ai décidé de quitter mon travail en fin d’année 2018 pour m’y consacrer à 100%, puis Hortense, mon associée, qui travaillait encore à ce moment là, m’a rejoint rapidement quelques mois après pour que nous puissions travailler main dans la main à temps complet.”
“Très rapidement, on s’est mis d’accord sur ce qu’on voulait faire : la cuisine de nos grands-mères et la cuisine de retour de marché, en créant un véritable écosystème de quartier faisant participer un maximum nos voisins commerçants. C’est ce qui nous plaisait !”
“On a eu la grande chance de rencontrer le chef Thierry Marx qui a très rapidement accroché avec le projet, celui-ci étant basé à Belleville / Ménilmontant, là où il est né et a passé une grande partie de sa vie. Nous pensons que c’est ça qui l’a vraiment touché. C’est donc lui qui nous a poussé à participer au plus vieux concours d’innovation en restauration: la Bourse Badoit. C’est un véritable accélérateur pour nous qui nous met face à plusieurs challenges: un restaurant éphémère, une soirée presse, un grand oral…”
“En même temps, nous étions incubées dans l’incubateur spécialisé en restauration appelé “Émergence Concepts” ! Du coup, on a commencé par créer notre business plan : Alexandre Roudeau, le directeur, nous challengeait continuellement et ça nous a permis d’aller assez loin dans nos idées en tranchant sur ce que l’on voulait et ne voulait pas faire et surtout pourquoi et comment on allait procéder. Plusieurs nuits blanches et des litres de cafés plus tard, on a envoyé un dossier très complet pour lequel on a beaucoup bossé et on a été retenues parmi les quatre grands finalistes.”
“Ce concours a été un véritable accélérateur pour nous et nous a permis d’avoir notre premier restaurant éphémère avec divers professionnels de la restauration comme clients et nous avons aussi passé un oral au Mandarin Oriental avec les membres du jury de la bourse, dont le chef Thierry Marx. Cela nous a permis de renforcer nos convictions, de mieux appréhender les problématiques de la restauration en situation réelle.”
“Après, tout en cherchant un fonds de commerce, nous avons continué à participer à différents concours en restauration pour élargir notre réseau et continuer à nous tester sur le terrain : Eat de Demain et l’incubateur restaurant éphémère For the Love of Food, dans lequel nous avons été représentées durant 1 mois. Evidemment, nous comptons depuis sur une grande communauté d’amis restaurateurs, producteurs, maraîchers, voisins qui font que notre motivation continue à nous faire avancer dans ce projet !”
“On s’est aussi formées dans le vin l’été dernier en faisant les vendanges dans un domaine en biodynamie. On voulait vraiment avoir une connaissance hyper précise des produits que l’on aura au restaurant (c’est ce qui nous a un petit peu retardé dans notre recherche de locaux mais c’était pour une très belle cause ) !”
“Oui, en plus c’est un petit peu particulier car Hortense et moi avons les retours Parisiens (nous vivons en temps normal à Paris) mais aussi les avis des Sudistes, de là où je suis originaire et là où j’ai vécu tout le confinement. Ces discours sont assez divergents car, au fond, personne ne sait complètement où on va.”
“Tu as ceux qui disent que ça va aller, qu’ils vont rouvrir assez rapidement et que nous allons rapidement revenir à une restauration comme on l’a toujours connue en France. Certes, ils ont conscience de devoir ouvrir en respectant des règles liées au covid-19, surtout les règles de distanciation et de capacité d’accueil maximum, mais en les écoutant on a l’impression que tout va reprendre assez vite. De l’autre côté, il y a une communauté qui a davantage de difficultées à se prononcer, qui est beaucoup plus flippée en pensant à la restauration de demain. Hortense et moi avons écouté, nous nous tenons évidemment informées sur le sujet de façon quotidienne mais surtout, on avance en évitant de rentrer dans des schémas de pensées apeurées qui nous empêchent de foncer."
“On continue à chercher sans relâche le fonds de commerce de nos rêves. À Paris, les prix ont beaucoup baissés, il y a énormément de fonds de commerce qui se libèrent sur le marché, ce qui était bien moins le cas avant. Malheureusement, beaucoup d’entre nous n’ont su se relever de l’enchaînement des récents événements parisiens (gilets jaunes, grèves et le COVID-19 bien sûr)…”
“Du coup, nous avons beaucoup réfléchi… C’est une vraie question d’entrepreneurs, comme bien d’autres, et malgré la situation qui reste très complexe : bien sûr qu’on y va ! Mais aujourd’hui, on y va en réfléchissant à nouveau certains sujets et plus prudemment : le budget prévu est plus restreint et notre surface initiale minimum devient notre surface max dans nos critères de recherche ! Il y a clairement des opportunités à saisir, mais il faut encore être plus précis dans ce qu’on veut faire et dans la clientèle qu’on cible.”
“Il y a des choses dans notre concept initial qui correspondent parfaitement à ce que nos clients vont vouloir après la crise , j’en ai le sentiment en tout cas : la connaissance du produit et de sa provenance, la mise en place d’une économie solidaire de quartier, avec la mise en avant de nos producteurs et de nos voisins commerçants et fournisseurs, toujours dans cette idée de nouvel écosystème de quartier et bien sûr le 100% français! Ces éléments sont parties intégrantes du concept, ce sont depuis toujours nos valeurs profondes de base, la façon dont nous concevons la restauration.”
“Avant le covid-19, on ne comptait pas en faire, nous ce qui nous anime c’est d’accueillir nos bichons chez nous et leur donner un sentiment de réconfort et de bien-être, comme après un grand dej’ du Dimanche en famille. Il est clair qu’aujourd’hui, on revoit nos idées et on compte en plus développer le click & collect, on va faire de la livraison… Je crois que ce n’est plus vraiment un choix aujourd’hui, non?. . La question, c’est comment va-t-on le faire ? Comment s’organiser autour de cette nouvelle nécessité.”
“De toute façon, je crois que d’ici l’apparition d’un vaccin, il va falloir faire au mieux, en s’adaptant au jour le jour. Entreprendre toujours, oui ! Mais encore plus consciemment qu’avant.”
“Au delà des coûts qui vont être importants, on va avancer avec prudence. Notre concept se meuble d’une grande table d’hôte avec des clients heureux qui partagent en toute proximité et convivialité : cette partie-là du concept est à re-réfléchir, surtout au début.”
“Concernant les plats à partager, on va essayer de dérouler une nouvelle vision du concept pour veiller à maintenir ce côté convivial, que les clients puissent toujours être proactifs dans leur expérience chez les Bichettes. Par exemple, en se levant pour aller chercher leurs bouteilles dans la cave avec nos conseils avisés évidemment… Pour être à tout à fait honnête, on veut évidemment s’adapter à cette nouvelle réalité car c’est indispensable mais nous n’envisageons pas la restauration de demain avec des vitrines, des masques ou encore des robots …! Pour nous, c’est contradictoire avec ce que nous aimons dans le métier. Si c’est réellement le futur de la restauration, alors je préfère personnellement changer de métier. C’est un milieu qui est déjà assez complexe, alors si en plus on ne peut plus accueillir les gens de façon conviviale comme on le faisait avant, ça n’a plus trop d’intérêt à notre sens.”
“Ce n’est pas un hasard si l’art de vivre à la française est classé au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Le Bistro parisien c’est tout ce qu’il y a autour : le partage, la convivialité, cette immense scène de théâtre qui se répète tous les jours… Si tu n’aimes pas ça ou si tu ne peux plus faire ça, tu ne le fais pas, car c’est déjà tellement compliqué. C’est un métier de passion.”
“Avec la recherche de fonds de commerce et la prise en compte de la situation actuelle, on imagine accueillir nos Bichons début 2021 au sein du restaurant. A nouveau, nous sommes assez confiantes. Le scénario un peu plus pessimiste, ce serait d’avoir du mal à ouvrir aussi rapidement que prévu si le financement des banques prenait beaucoup plus de temps qu’avant la crise. Mais nous y croyons… à fond ! Bientôt on célébrera tous le fait d’être ensemble autour de plats délicieux de notre enfance !”